samedi 24 novembre 2007

Vingt-troisième message !


J'ai relu mes derniers messages. Je suis stupéfaite. Quiconque ne me connaissant pas aussi bien que je me connais, doit considérer que je suis à demi-folle. Pourtant je ne le suis pas. Juste singulière pourrait-on dire.

Ceci dit, cela me permet de comprendre pourquoi je vis seule. Quel homme pourrait-il vivre avec une demoiselle prenant du temps pour aller nettoyer la tombe de deux inconnus ? La plupart prendraient peur s'ils étaient au courant de mes périgrinations dans les cimetières. C'est pour cela, que nul ne le sait.

Récemment, je repensais à la tombe de mon Caporal et de sa soeur. Quelque chose me chiffonne dans la mesure ou je trouve que la croix n'a pas un bel aspect. J'ai beau l'avoir époussetée, un peu nettoyée et replantée droite, elle n'est pas encore telle que je le désire.

L'Internet étant un outil merveilleux, j'ai obtenu la solution à mes soucis. Tant et si bien que je connais tout des produits antirouilles. Cependant la saison n'est pas idoine. Mais qu'on se le dise, dès que le soleil pointera le bout de son nez, j'irai chercher cette croix et lui redonnerai un air de neuf.

Je songeais à cela, c'est à dire aux différentes opérations nécessaires pour rendre une belle apparence à cette croix quand tout à coup, j'ai été saisie d'une idée étrange. Je m'imaginais, ayant posé cette croix sur la table de ma cuisine, protégée d'un journal, et m'adonnant à mes travaux de réfection, à la manière d'une bobo chineuse.

J'imaginais ensuite que l'on sonne à ma porte, que dans la précipitation, je le lève pour aller ouvrir, que j'attende près de la porte. Et là, j'imaginais la tête de mon visiteur, parent ou ami, constatant que la demoiselle "bien comme il faut", que je suis, s'adonne dans le secret de son appartement à la réfection de croix mortuaires.

Même si ma démarche me semble logique, et en totale adhésion avec ce que je suis au plus profond de moi, je crois qu'on en a interné pour moins que cela. Si un jour, j'abandonne totalement ce blog, vous saurez que je suis dans une clinique.

Dans une maison de repos comme l'on dit, dans laquelle je m'adonne aux joies du macramé ou de la peinture sur soie, bourrée de neuroleptiques. Pourvu que je puisse y apporter une pleine malle de chaussures, je ne me rebellerai pas !

jeudi 22 novembre 2007

vingt-deuxième message !


(suite du message précédent)

Dans ma conscience d'hystérique capable d'être touchée par le destin de gens que je ne connaissais pas, une idée a germé.

Comme je le disais dans le message précédent, je n'avais aucune envie d'avoir cette curieuse idée, sans la mettre en application. C'est finalement tout ce qui me distingue de l'hystérique. Car je plaisante en me traitant d'hystérique : je ne le suis pas.

Je vibre au moindre vent, m'émeut d'un rien, mais j'ai du caractère et de la suite dans les idées. Sans doute dois-je remercier mes parents autant pour leur bonne éducation, que que pour m'avoir faite naitre à un jour et une heure, qui me permettent d'avoir un ascendant capricorne. si le cancer est aussi doux qu'un bonbon, le capricorne est dur comme de la pierre !

Durant la semaine, je ne cessais de songer à mon petit caporal et sa soeur. C'est ainsi, que profitant de ce que l'on appelle une RTT - ouh le vilain mot - je retournai en voiture au cimetière, m'étant préalablement munie d'un outillage complet.

Retrouvant sans peine la tombe abandonnée, je constatais avec plaisir que le vilain panonceau administratif osant troubler le repos des morts n'avait pas reparu. A défaut d'autre chose, j'avais pour le moment maintenu les forces de l'administration à distance.

La première chose que je fis, fut de replanter la croix de fer forgé bien droite. Ce fut chose simple parce que le terrain était meuble et qu'étant petite, je n'eus pas besoin de beaucoup me pencher. J'en profitais aussi pour astiquer les deux médaillons avec un détergent efficace mais suffisamment doux pour ne pas abimer les photos. Me relevant, je contemplai avec délice que ce simple geste redonnait un semblant de dignité à ce tombeau oublié.

Le temps étant humide, c'est avec peine que je m'agenouillais devant la tombe parce que ma jambe droit me faisait mal. Ayant troqué dans ma voiture, mes talons aiguille vertigineux pour des baskets, et vêtue d'un jean passablement ancien, je pus tant bien que mal m'assoir devant cette tombe.

A notre époque troublée, les cimetières étant des lieux déserts ou presque, c'est sans voir âme qui vive, que je pus m'adonner à mon plan. Apportant près de moi mon sac, j'en extrayai vitement l'outillage consistant en une pelle et un râteau minuscules puisque destinés à mes plantes vertes. a la guerre comme à la guerre, me suis-je dit.

Puisque mon Caporal n'avait pas flanché, muni d'un simple Lebel face aux Maxims de l'ennemi, je me raisonnai en me disant que mon outillage de jeune fille "bien comme il faut" viendrait à bout du travail que je m'étais assigné. Je comptais bien sur sur mon ascendant capricorne dur à la tâche.

Moitié assise, moitié à genoux, je commençai par désherber la sépulture. Ce fut facile. La main bien assurée autour des touffes de mauvaise herbe, et celles-ci se laissèrent arracher. Je les jetai dans un sac. Ensuite, armée de ma pelle, je m'adonnai avec plaisir aux joies du labourage en retournant consciencieusement les deux mètres carrés de terre de la sépulture.

Puis, je pris deux ou trois minutes de repos, songeuse, le regard perdu sur les deux médaillons, je m'attelai enfin à des travaux plus esthétiques. Armée de mon minuscule râteau, je ratissai donc consciencieusement la terre afin de la rendre plane et agréable à l'oeil. Me levant avec peine, je contemplai enfin mon oeuvre.

Cette tombe abandonnée commençait enfin à ressembler à quelque chose. La croix enfin droite, les photos presque visibles, et la terre ratissée donnait enfin un début de dignité. Je ne sais pas si mon Caporal et sa sœur étaient contents, mais pour ma part, aussi curieuse et étrange qu'apparaisse mon occupation, j'étais satisfaite.

Afin de mécontenter encore plus l'administration honnie, qui ose ainsi déterrer les morts, je décidai d'asséner le coup de grâce. D'un sac plastique à l'effigie d'une chaine de jardinerie, je sortis un buis taillé en forme de boule. J'adore le buis, c'est joli bien qu'un peu triste. Mais c'est toujours digne et vert et je trouvais que cela correspondait à ma mission.

Toujours portée par mon ascendant capricorne qui m'incline à faire les choses de manière carrée, je me munis d'un cailloux, puis plissant les yeux, arpentant dans ma tête le minuscule terrain face à moi, je décrétai en avoir trouvé le centre exact.

Adroitement, j'y jetai le cailloux afin d'en marquer l'endroit. Puis, m'armant de nouveau de ma pelle et de mon courage, je creusais un petit trou afin d'y planter le buis. J'étalai ensuite la terre provenant de l'excavation tout autour avant de ratisser de nouveau. Je ramassai enfin mes ustensiles et mes déchets.

M'étant relevée avec difficulté, je contemplai enfin mon oeuvre. Cette sépulture abandonnée ne l'était plus. Je suis même persuadée que si l'agent municipal avait tenté de la retrouver, il aurait eu quelques difficultés, à moins d'avoir le registre du cimetière. Après avoir récité une courte prière et m'être recueilli un instant pour le repos de ces deux inconnus, je repris mes outils et m'en allai.

samedi 17 novembre 2007

Vingt-et-unième message !


J'ai fait une chose idiote. Mais je ressentais l'envie de le faire de manière impérieuse. Trop de gens parlent sans agir, et je ne voulais pas leur ressembler.

Je suis aussi bavarde que je sais me tenir coite. Je varie sans cesse entre l'éponge psychique, enregistrant les moindres modifications de mon entourage, et le granit. Stupide et légère, parfois émotive et ultra sensible ou encore grave et profonde, j'hésite sans cesse et ne cesse de tourner en rond.

La dernière fois que je suis allée au cimetière où sont inhumés mes proches, j'ai marché comme à mon habitude entre les tombes. Attirée par les carrés où sont les plus anciennes, j'ai cheminé, foulant le gravier mouillé de mes talons aiguille. De temps à autre, je me penchais pour tenter de distinguer les noms et les dates gravées sur les pierres grises et moussues.

Je me demandais qui étaient ces gens là. Même si mes pensées n'auraient pas démérité au café du commerce, j'étais bien forcée de me dire "qu'on est bien peu de choses tout de même". Avisant une grosse sépulture ornée de deux noms accolés par un tiret, ainsi qu'il seyait aux bourgeois du début du siècle, je songeais qu'en leurs temps, ceux qui reposaient ici, avaient du se morfondre pour un tas de choses qui paraissaient insignifiantes alors que je contemplais leur dernière demeure.

Mais les tombes que je préfère, ce sont les humbles, celles qui n'attirent même plus le regard, tant on est obligé de baisser la tête pour les regarder. Ainsi, alors que j'avais du passer devant des dizaines de fois, je ne l'avais jamais remarquée celle-ci.

Si ce jour, elle attira mon regard, c'est que dessus était planté un petit écriteau enjoignant à quiconque aurait un lien avec les défunts de se signaler, faute de quoi, la tombe serait relevée et proposée à d'autres personnes en quête d'une sépulture.

Il s'agissait d'un simple rectangle bordé d'une mince ruban de mortier gris et fissuré. Au milieu, des cailloux autrefois blancs, étaient devenus sales et quelque mauvaises herbes fanées par l'hiver composaient l'unique bouquet pour ces morts oubliés. Une croix de fer forgé rouillée plantée de guingois, portant en son centre, en médailon, deux photos ternies, donnait à cette minuscule tombe une tristesse infinie.

M'agenouillant précautionneusement, autant que me le permet ma jambe droite abimée, je tirais un mouchoir en papier de mon sac à mains afin de tenter de nettoyer les photos. La première photo laissa apparaître le visage d'un petit caporal, décédé à vingt ans en 1916 qui me souriait fièrement. Tandis qu'à ses côtés, sur le second médaillon, je distinguais enfin le sourire de celle qui devait être sa soeur, décédée deux ans plus tard à l'âge de vingt-et-un ans.

Dans le jour gris finissant, loin de tout regard, je fus empli d'une immense peine pour ces deux jeunes gens que l'on n'allait pas tarder à mettre dans la fosse commune. J'imaginais que les pauvres parents ayant vu leurs deux enfants disparaître avant eux, avaient souvent fleuri cette modeste tombe avant de s'en aller à leur tour vers leur dernière demeure.

Peut-être quelques cousins étaient ensuite venus. Puis, la descendance disparue ou trop éloignée pour prêter encore attention à ces deux inconnus, plus personne n'était venu honorer ces morts. Abandonné de tous, le coup de grâce allait leur être porté par la puissance publique qui ne respecte rien.

Jetant des coups d'oeil alentour, mon premier acte fut de saisir le panonceau planté dans la terre meuble. Le dissimulant, je m'en débarrassai près de la sortie, en le jetant dans une poubelle laissée là pour recevoir les plantes fanées. (à suivre)

dimanche 11 novembre 2007

Vingtième message !

Tombe abandonnée : Louis et Fernand Martin, morts à vingt ans.
(Pontavert, Picardie)

Tout le monde s'en moque, je sais, mais moi le onze novembre me touche et m'émeut. Les mauvaises langues qui me connaissent, diront que de toute manière, il n'est guère difficile de m'émouvoir.

Chaque onze novembre, quoique je fasse, je pense à la souffrance des jeunes conscrits qui sont morts pour la France durant celle que l'on appelle la Grande guerre. Je n'y peux rien et je ne saurai jamais vous dire pourquoi.

Est-ce que parce que voici quelques années j'avais lu les romans de l'historien Pierre Miquel ? J'ai d'ailleurs constaté que lui et moi étions cancer, c'est amusant. Je me sens proche de lui. Je suis aussi carrée que lui, lorsqu'il fait son travail d'historien, et aussi sensible que lui, lorsqu'il nous compte l'attente des mères et des fiancées, ou bien l'annonce du décès de leur proche. "tué au feu face à l'ennemi" disait-on à l'époque. Parfois, on se contentait d'un "porté disparu", quand le soldat avait été haché par les obus de gros calibres.

Serait-ce parce qu'étant une fille un peu étrange, j'aime me promener dans les cimetières et regarder les tombes abandonnées, encore entourée d'un feston de fer forgé rouillé ou d'une simple bordure de ciment gris. Ces tombes dont personnes ne s'occupe plus et qui sont juste ornées d'un vieux bouquet de faïence aux tons fanés et d'une photo émaillée un peu jaunie où l'on distingue encore les traits d'un jeune chasseur à pieds souriant à l'objectif. Moi, ces morts abandonnés de tous me touchent. D'ailleurs, allez visiter ce site si vous avez un peu de temps.

J'ai aujourd'hui beaucoup de mal à saisir la dichotomie qui existerait entre les bons allemands de 14-18 et les méchants de 39-45. Si vous ne connaissez pas l'histoire de la première guerre mondiale, allez voir les villes d'Arras, de Péronne, de Craonne, d'Albert, etc. et tant d'autres encore. Et si vous préférez pire, renseignez-vous sur tous ces villages martyrs. Si vous pensiez qu'il avait fallu attendre Oradour-sur-glane pour que s'exprime la barbarie allemande, vous aviez tort et vous ne connaissez pas l'histoire. Pour ma part, même si je n'applaudis pas des deux mains, la destruction de Dresde en 1945 ne m'arrache pas de larmes.

Alors, en ce onze novembre 2007, mon souvenir va aux poilus de cette Grande guerre morts au champ d'honneur. Je trouve qu'à l'heure où l'on nous bassine avec le "devoir de mémoire", il appartient à tout un chacun de se rendre au moins une fois sur les champs de bataille, pour honorer, se souvenir, ou pour ceux qui ont de l'imagination, tenter d'imaginer ...


vendredi 2 novembre 2007

Dix-neuvième message !


Aujourd'hui c'est le deux novembre, lendemain de la Toussaint et jour des morts. J'ai acheté des chrysanthèmes et je suis allée au cimetière comme chaque année. Je constate que la plupart des tombes sont fleuries.

Toutefois, je suis pessimiste et ne sais si après nous, les autres viendront honorer les morts. Cela m'inquiète. Il y a beau avoir écrit "les morts avec les morts et les vivants avec les vivants" dans la bible ( ), je suis heureuse que nos chers disparus bénéficient d'un jour ou l'on puisse penser à eux.

On me rétorquera que l'on peut penser à eux tous les jours et je n'y manque pas. Toutefois, penser n'est rien ou presque rien, même si c'est important. Par contre, aller acheter ses fleurs, prendre le temps de se rendre au cimetière, se recueillir, donner du temps, c'est beaucoup plus. C'est introduire une rupture réelle dans notre emploi du temps pour se consacrer uniquement et entièrement à eux.

Et puis, face à une tombe, l'attitude n'est pas la même que lorsque l'on pense à un disparu tout en vaquant à ses occupations. C'est solennel et cela nous permet, l'espace d'un instant de nous interroger sur notre propre Salut.

Alors quand j'y vais chaque année, je prie, me recueille, et m'interroge sans pour autant être forcément triste. La mort n'est rien, j'essaie ainsi de m'en persuader en me disant que tous ceux qui m'ont quittée, je les retrouverai quand viendra mon heure. Par contre, je ne sais pas si l'on viendra fleurir ma tombe. Mais est-ce important ?

L'espace d'un moment, moi, Anna, la futile, la fille aux cent paires de chaussures, la précieuse, la petite princesse parfois horripilante, je me souviens que je finirai comme eux. C'est un vrai plaisir que d'y songer. Non que je sois morbide, mais simplement parce que cela remet les idées en place, au moins l'espace d'un instant.

Se promener dans les cimetières m'est salutaire. Cela permet de distinguer l'essentiel de l'accessoire. C'est, avec la fortune, ce qui doit me différencier de Paris Hilton ! Mais pour tous ceux qui, venus me lire, me trouveraient bien sombre, autant finir sur une note d'optimisme grave et belle. Pour ce faire, et penser aux morts sans pleurer, je vous propose ce sublime texte que j'ai pillé sur un blog que j'apprécie :


L'amour ne disparaît jamais

L'amour ne disparaît jamais, la mort n'est rien.
Je suis seulement passé(e) dans la pièce à côté.
Je suis moi, tu es toi.

Ce que nous étions l'un pour l'autre nous le sommes toujours. Donne-moi le nom que tu m'as toujours donné.

Parle-moi comme tu l'as toujours fait.
N'emploie pas un ton différent, ne prends pas un air solennel ou triste.

Continue à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Prie, souris, pense à moi.
Prie pour moi.

Que mon nom soit prononcé à la maison
comme il l'a toujours été,
sans emphase d'aucune sorte,
sans une trace d'ombre.

La vie signifie tout ce qu'elle a toujours signifié.
Elle est ce qu'elle a toujours été.
Le fil n'est pas coupé.

Pourquoi serais-je hors de ta pensée ?
Simplement parce que je suis hors de ta vie ?

Je t'attends, je ne suis pas loin,
Juste de l'autre côté du chemin.
Tu vois, tout est bien.

Chanoine Henry Scott Holland (1847-1918),
traduit et adapté par Charles Péguy (1873-1914)

C'est terrible, j'avais beau promettre une note d'optimisme, je ne peux le lire sans pleurer ! Hystérique ou trop sensible, seule l'avancée de la psychopathologie ou l'autopsie permettra de me connaitre.