mercredi 6 octobre 2010

Article204


Lorsque j'étais petite, certains mots avaient une importance considérable. Ainsi, lorsque ma mère me disait que "papa partait en voyage d'affaires", j'y voyais presque une occupation quasi sacerdotale. Tout ce que je connaissais des voyages, c'était les vacances et la détente. Je me demandais donc ce qu'étaient ces fameuses "affaires".

J'ai hélas grandi et le mystère s'est dissipé. En ce moment et jusqu'à la fin de la semaine, je suis en voyage d'affaires. Quoi de plus trivial qu'un voyage d'affaire ? Mon hôtel est très joli mais ma chambre est d'une banalité à pleurer. J'ai cent cinquante chaines au bout des doigts et un grand écran mais mon cadre me manque. J'ai enchaîné quelques réunions qui n'en sont pas vraiment. Tout pourrait se régler si vite mais on dirait que parler leur plait. Je dois supporter la compagnie de collègues que j'apprécie mais avec qui je n'avais jamais envisagé de partir en vacances.

Et ces repas trop longs, ces conversations convenues où l'on ne parle que de travail ! Et que dire de la pause obligatoire dans les bars. Parce qu'en fin de journée, il est normal de "prendre un verre". Rien de plus assommants que ces bars. Rétrograde comme je suis, je les trouve faits pour les hommes. Je trouve que les femmes n'y ont par leur place à moins qu'elles ne fussent là pour y faire des rencontres tarifées. Nous sommes trois femmes qui jouons les hommes. Sauf que nous consommons des boissons de femme. La société ne peut pas vaincre toutes les réserves.

Et me voici moi, assise dans un de ces bars que l'on doit sans doute nommer "lounge". La décoration est superbe. Tout est fait pour que l'on s'y sente à l'aise. Et pourtant, je ne m'y sens pas à ma place. Je parle, je ris et je souris, je rebondis sur les conversations et je fais bonne figure. Mais ma tête est ailleurs. Que fais-je là ? Tout aurait pu être tellement plus court et charmant. Mais il semble que le voyage d'affaires doive s'accorder avec une standardisation.

Parfois j'ai des absences, je regarde discrètement la météo qu'il fait sur Paris. Il fait doux et il semble y avoir un léger crachin. C'est bien ma chance d'être coincée ici. J'imagine que les trottoirs vont commencer à luire dans la lueur des réverbères qu'auréolent d'un discret halo les goutes de pluie. J'ai toujours aimé l'automne à Paris alors que l'hiver m'indiffère.

Je songe à Du Bellay, et comme lui :

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Papa est en voyage d'affaires me disait-on. Et mes yeux brillaient attirés par ce mystère. Pauvre papa me suis-je dit aujourd'hui.

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