jeudi 22 novembre 2007

vingt-deuxième message !


(suite du message précédent)

Dans ma conscience d'hystérique capable d'être touchée par le destin de gens que je ne connaissais pas, une idée a germé.

Comme je le disais dans le message précédent, je n'avais aucune envie d'avoir cette curieuse idée, sans la mettre en application. C'est finalement tout ce qui me distingue de l'hystérique. Car je plaisante en me traitant d'hystérique : je ne le suis pas.

Je vibre au moindre vent, m'émeut d'un rien, mais j'ai du caractère et de la suite dans les idées. Sans doute dois-je remercier mes parents autant pour leur bonne éducation, que que pour m'avoir faite naitre à un jour et une heure, qui me permettent d'avoir un ascendant capricorne. si le cancer est aussi doux qu'un bonbon, le capricorne est dur comme de la pierre !

Durant la semaine, je ne cessais de songer à mon petit caporal et sa soeur. C'est ainsi, que profitant de ce que l'on appelle une RTT - ouh le vilain mot - je retournai en voiture au cimetière, m'étant préalablement munie d'un outillage complet.

Retrouvant sans peine la tombe abandonnée, je constatais avec plaisir que le vilain panonceau administratif osant troubler le repos des morts n'avait pas reparu. A défaut d'autre chose, j'avais pour le moment maintenu les forces de l'administration à distance.

La première chose que je fis, fut de replanter la croix de fer forgé bien droite. Ce fut chose simple parce que le terrain était meuble et qu'étant petite, je n'eus pas besoin de beaucoup me pencher. J'en profitais aussi pour astiquer les deux médaillons avec un détergent efficace mais suffisamment doux pour ne pas abimer les photos. Me relevant, je contemplai avec délice que ce simple geste redonnait un semblant de dignité à ce tombeau oublié.

Le temps étant humide, c'est avec peine que je m'agenouillais devant la tombe parce que ma jambe droit me faisait mal. Ayant troqué dans ma voiture, mes talons aiguille vertigineux pour des baskets, et vêtue d'un jean passablement ancien, je pus tant bien que mal m'assoir devant cette tombe.

A notre époque troublée, les cimetières étant des lieux déserts ou presque, c'est sans voir âme qui vive, que je pus m'adonner à mon plan. Apportant près de moi mon sac, j'en extrayai vitement l'outillage consistant en une pelle et un râteau minuscules puisque destinés à mes plantes vertes. a la guerre comme à la guerre, me suis-je dit.

Puisque mon Caporal n'avait pas flanché, muni d'un simple Lebel face aux Maxims de l'ennemi, je me raisonnai en me disant que mon outillage de jeune fille "bien comme il faut" viendrait à bout du travail que je m'étais assigné. Je comptais bien sur sur mon ascendant capricorne dur à la tâche.

Moitié assise, moitié à genoux, je commençai par désherber la sépulture. Ce fut facile. La main bien assurée autour des touffes de mauvaise herbe, et celles-ci se laissèrent arracher. Je les jetai dans un sac. Ensuite, armée de ma pelle, je m'adonnai avec plaisir aux joies du labourage en retournant consciencieusement les deux mètres carrés de terre de la sépulture.

Puis, je pris deux ou trois minutes de repos, songeuse, le regard perdu sur les deux médaillons, je m'attelai enfin à des travaux plus esthétiques. Armée de mon minuscule râteau, je ratissai donc consciencieusement la terre afin de la rendre plane et agréable à l'oeil. Me levant avec peine, je contemplai enfin mon oeuvre.

Cette tombe abandonnée commençait enfin à ressembler à quelque chose. La croix enfin droite, les photos presque visibles, et la terre ratissée donnait enfin un début de dignité. Je ne sais pas si mon Caporal et sa sœur étaient contents, mais pour ma part, aussi curieuse et étrange qu'apparaisse mon occupation, j'étais satisfaite.

Afin de mécontenter encore plus l'administration honnie, qui ose ainsi déterrer les morts, je décidai d'asséner le coup de grâce. D'un sac plastique à l'effigie d'une chaine de jardinerie, je sortis un buis taillé en forme de boule. J'adore le buis, c'est joli bien qu'un peu triste. Mais c'est toujours digne et vert et je trouvais que cela correspondait à ma mission.

Toujours portée par mon ascendant capricorne qui m'incline à faire les choses de manière carrée, je me munis d'un cailloux, puis plissant les yeux, arpentant dans ma tête le minuscule terrain face à moi, je décrétai en avoir trouvé le centre exact.

Adroitement, j'y jetai le cailloux afin d'en marquer l'endroit. Puis, m'armant de nouveau de ma pelle et de mon courage, je creusais un petit trou afin d'y planter le buis. J'étalai ensuite la terre provenant de l'excavation tout autour avant de ratisser de nouveau. Je ramassai enfin mes ustensiles et mes déchets.

M'étant relevée avec difficulté, je contemplai enfin mon oeuvre. Cette sépulture abandonnée ne l'était plus. Je suis même persuadée que si l'agent municipal avait tenté de la retrouver, il aurait eu quelques difficultés, à moins d'avoir le registre du cimetière. Après avoir récité une courte prière et m'être recueilli un instant pour le repos de ces deux inconnus, je repris mes outils et m'en allai.

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