samedi 17 novembre 2007

Vingt-et-unième message !


J'ai fait une chose idiote. Mais je ressentais l'envie de le faire de manière impérieuse. Trop de gens parlent sans agir, et je ne voulais pas leur ressembler.

Je suis aussi bavarde que je sais me tenir coite. Je varie sans cesse entre l'éponge psychique, enregistrant les moindres modifications de mon entourage, et le granit. Stupide et légère, parfois émotive et ultra sensible ou encore grave et profonde, j'hésite sans cesse et ne cesse de tourner en rond.

La dernière fois que je suis allée au cimetière où sont inhumés mes proches, j'ai marché comme à mon habitude entre les tombes. Attirée par les carrés où sont les plus anciennes, j'ai cheminé, foulant le gravier mouillé de mes talons aiguille. De temps à autre, je me penchais pour tenter de distinguer les noms et les dates gravées sur les pierres grises et moussues.

Je me demandais qui étaient ces gens là. Même si mes pensées n'auraient pas démérité au café du commerce, j'étais bien forcée de me dire "qu'on est bien peu de choses tout de même". Avisant une grosse sépulture ornée de deux noms accolés par un tiret, ainsi qu'il seyait aux bourgeois du début du siècle, je songeais qu'en leurs temps, ceux qui reposaient ici, avaient du se morfondre pour un tas de choses qui paraissaient insignifiantes alors que je contemplais leur dernière demeure.

Mais les tombes que je préfère, ce sont les humbles, celles qui n'attirent même plus le regard, tant on est obligé de baisser la tête pour les regarder. Ainsi, alors que j'avais du passer devant des dizaines de fois, je ne l'avais jamais remarquée celle-ci.

Si ce jour, elle attira mon regard, c'est que dessus était planté un petit écriteau enjoignant à quiconque aurait un lien avec les défunts de se signaler, faute de quoi, la tombe serait relevée et proposée à d'autres personnes en quête d'une sépulture.

Il s'agissait d'un simple rectangle bordé d'une mince ruban de mortier gris et fissuré. Au milieu, des cailloux autrefois blancs, étaient devenus sales et quelque mauvaises herbes fanées par l'hiver composaient l'unique bouquet pour ces morts oubliés. Une croix de fer forgé rouillée plantée de guingois, portant en son centre, en médailon, deux photos ternies, donnait à cette minuscule tombe une tristesse infinie.

M'agenouillant précautionneusement, autant que me le permet ma jambe droite abimée, je tirais un mouchoir en papier de mon sac à mains afin de tenter de nettoyer les photos. La première photo laissa apparaître le visage d'un petit caporal, décédé à vingt ans en 1916 qui me souriait fièrement. Tandis qu'à ses côtés, sur le second médaillon, je distinguais enfin le sourire de celle qui devait être sa soeur, décédée deux ans plus tard à l'âge de vingt-et-un ans.

Dans le jour gris finissant, loin de tout regard, je fus empli d'une immense peine pour ces deux jeunes gens que l'on n'allait pas tarder à mettre dans la fosse commune. J'imaginais que les pauvres parents ayant vu leurs deux enfants disparaître avant eux, avaient souvent fleuri cette modeste tombe avant de s'en aller à leur tour vers leur dernière demeure.

Peut-être quelques cousins étaient ensuite venus. Puis, la descendance disparue ou trop éloignée pour prêter encore attention à ces deux inconnus, plus personne n'était venu honorer ces morts. Abandonné de tous, le coup de grâce allait leur être porté par la puissance publique qui ne respecte rien.

Jetant des coups d'oeil alentour, mon premier acte fut de saisir le panonceau planté dans la terre meuble. Le dissimulant, je m'en débarrassai près de la sortie, en le jetant dans une poubelle laissée là pour recevoir les plantes fanées. (à suivre)

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