mardi 28 septembre 2010

Deux-cent-unième article !


J'adore recevoir. J'aime offrir à mes invités une belle table. Comme naguère, je n'hésite pas à sortir l'argenterie et la jolie vaisselle. A quoi bon en posséder, si ce n'est pour ne jamais l'utiliser ?

J'apprécie particulièrement les jolis verres en cristal de Saint-Louis. Leurs couleurs et leurs facettes taillées de main de maître attirent la lumière d'une exquise manière. Or, vous tous qui avez tant et tant bu dans du Saint-Louis, savez que leur fin et élégant pied en fait des pièces d'une extrême fragilité.

Voici quelques années, un maladroit en fit tomber un. Je m'en souviens c'était un bleu. Un petit verre à liqueur exquis. Le pied s'est cassé net. J'ai ramassé les deux morceaux parce que cela me faisait mal au cœur de les jeter. J'ai très bien fait.

Quelques temps après, une amie m'expliqua qu'à Paris, un verrier sis au fond d'une cour un peu sordide se faisait fort de réparer ce type de dégât. L'adresse en poche, je me rendis immédiatement à l'adresse indiquée. C'était une sorte de galetas qu'on eut cru directement sorti du dix-neuvième siècle.

Une arrière-cour sordide située derrière une arrière cour sale sur les côtés desquels s'étiraient des ateliers aux vitres opaques. Je me tordis copieusement les chevilles sur les gros pavés inégaux, me maudissant de porter des talons hauts pour pareille entreprise.

Je toquai discrètement à la porte laquelle s'ouvrit sur un incroyable capharnaüm. Un vieux bonhomme s'enquit des raisons de mon irruption. Je faillis l'appeler mon brave mais me souvins à temps que je n'étais pas dans mes terre auprès de quelque famille nécessiteuse mais toujours à Paris.

Il prit mon délicat verre entre ses gros doigts d'ouvrier, le tournant et le retournant tandis qu'il ajustait ses besicles de l'autre main. S'étant ainsi concentré une poignée de seconde, il me regarda avant de me dire que ce serait prêt la semaine prochaine en m'indiquant la somme dont je devrais m'acquitter pour la réparation.

J'acquiesçai immédiatement car le prix ridicule qu'il me demandait ne devait pas excéder le quart de ce qu'aurait coûté ce verre neuf. Le bonhomme avare de parole voulut tout de même me prévenir que le pied perdrait quelques millimètre dans l'opération.

Je lui expliquai que cela ne poserait aucun problème. Je le saluai et sortis. Les pavés étaient tout aussi inégaux et je maudis mes talons hauts comme je les avais maudit en arrivant. Mais bon, la réparation de ce verre aurait largement valu une entorse de la cheville. De toute manière, je suis charmante en béquilles. On me l'a déjà dit.

Le jour convenu, je revins à cette échoppe. Le bonhomme me montra son ouvrage. C'était du bel œuvre. Jamais personne n'aurait vu que le verre avait été cassé. Je brulais de lui demander par quel miracle il avait réussi ce tour. Mais je décidai de laisser à ce vieux magicien le secret de ses tours. Délestée de quelques billets mais mon joli verre en poche, je repartis comme j'étais venue.

Je me sers toujours de ce joli petit verre bleu. Personne n'a jamais remarqué l'opération. Du moins personne ne me l'a jamais dit. Pourtant, est-ce parce que je le sais, je remarque toujours ce verre parmi ses voisins.

Sans doute faudrait-il des yeux de lynx mais je vois qu'il est un peu plus bas que les autres. Et puis, si je l'approche de mes yeux, je note une fine ligne de fracture, à l'endroit où il a été recollé. Elle est presque invisible mais elle est présente.

Il est donc faux de dire qu'on ne répare jamais les pots cassés. Mais il serait bien présomptueux d'imaginer que cela ne laisse pas de trace.

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