Cet après-midi, j'ai vaqué à quelques occupations et je me suis dit qu'il faisait beau. Enfin presque bau avec un vent monstrueux mais qu'à cela ne tienne. Je n'allais donc pas rester cloitrée chez moi à me morfondre. J'ai pris mon sac à mains, mes fidèles béquilles et un livre et je suis sortie.
J'ai décidé d'aller prendre un thé en terrasse. Je me suis fixé une demie-heure. Et finalement, je suis restée une heure. J'ai alors pu constater le comportement terriblement moutonnier des gens mais je me suis sentie libérée.
Avant, on me regardait claudiquer sur mes jolies béquilles d'un oeil discret. Sans doute que l'on imaginait quelque terrible catastrophe. Dans la tête de ces curieux voyeurs se déroulait sans doute un scénario sur fond de tôles froissées et d'hémoglobine, nimbé de la lueur bleutée des gyrophares des véhicules de secours. Les gens du SAMU s'affairaient, on ne savait pas si je vivrais et finalement j'étais évacuée dans une ambulance roulant à tombeau ouvert vers quelque service d'urgence dans lequel, reliée à différents appareils, le visage pâle et les yeux révulsés, on me ramènerait difficilement d'entre les morts.
Etant l'une des rares personnes plâtrées et en béquilles, j'attirais évidemment les regards. Mais ces regards restaient distants. Bref, j'étais une blessée et l'on reconnaissait mon statut. Par peur de me déranger, et sans doute de réveiller quelque atroce traumatisme chez moi, on ne me parlait pas de ma jambe plâtrée. Tout au plus, avais-je le droit à un sourire un peu crispé signifiant qu'on me plaignait tout en m'assurant qu'on se garderait bien de m'ennuyer.
Même ma boulangère favorite, m'ayant vu prête à m'étaler en béquilles sur sa stupide marche posée à l'entrée de sa boutique, ne m'avait fait aucune réflexion. Je lui en ai été reconnaissante car je venais de cogner mes charmants orteils nus au bout du plâtre et j'étais colère. Je pense que dans le quart d'heure suivant cette entrée peu glorieuse dans sa boulangerie, je n'étais pas en veine de dialogues.
J'étais donc la demoiselle à la jambe dans le plâtre, une accidentée quelconque. Mais tout a changé depuis peu. On me parle dans la rue, on m'aborde et on me lance des réflexions imbéciles. Généralement, toutes ces saillies idiotes tournent autour du ski.
Car, en région parisienne, ce sont les vacances dites "de février" qui viennent de prendre fin et pour le quidam moyen, elles sont liées aux joies de la glisse sur des pentes enneigées. Cet individu moyen, ce monsieur Homais, ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, envisage aussitôt que toute personne se promenant avec une jambe dans le plâtre se l'est forcément cassée au ski !
Cela vous l'imaginez sans problème. Ce qui est plus amusant c'est que l'origine de mes fractures, selon qu'il s'agisse d'un terrible accident ou d'une bête chute en skis, change manifestement la manière dont je devrais vivre mon état. De plus c'est une habitude idiote que de penser cela car chacun sait que depuis que les chaussures et les skis se sont perfectionnés, on ne se casse plus de tibias mais on se fait uniquement d'atroces entorses du genoux.
Je suis donc passée de la blessée souffrant mille morts que l'on regardait en coin à la demoiselle sympathique à qui l'on parle. Curieusement, il semblerait que lorsque l'on se casse une jambe en faisant de ski, ce soit moins grave, voire beaucoup plus amusant que dans d'autres circonstances. Tomber dans la neige, la cheville tordue à quatre-vingt dix degrés, le tibia et le péroné brisés, devient une expérience rigolote et amusante, voire osons-le dire carrément "fun".
Comme je ne fais pas de sport et que je n'ai surtout pas envie qu'on imagine que je suis allée jusqu'à payer un de ces stupides séjours au ski pour me briser la jambe, je réagis négativement à cet excès de familiarité.
C'est ainsi qu'assise en terrasse, alors qu'une jeune mère de famille me demandait en souriant de toutes ses jolies dents si "c'était un souvenir du ski", j'ai répondu en la fixant tristement que "non, qu'il s'agissait d'un terrible accident de voiture dont je me remettais très doucement, ne sachant pas encore si j'allais récupérer". Je n'étais plus "fun" du tout. La belle s'est excusée en rougissant et m'a laissée en paix.
Qu'on me laisse à mon statut de grande blessée que j'affectionne. Ce n'est pas la peine de casser une jambe si c'est pour attirer la sympathie stupide des gens. Je préfère ces regards lointains chargés de compassion. Je dois être totalement hystérique à me mettre ainsi toujours ainsi en scène. A moins que je ne sois trop imaginative. C'est mon côté Dame aux camélias.
Et puis, ceux qui me connaissent savent que je ne serais jamais été skier. A la rigueur, une semaine à
2 commentaires:
Eh oui, certaines blessures semblent plus "glorieuses" que d'autres... Mais ne penses tu pas que ce soit plutôt une forme de timidité qui est plus facile à vaincre prétextant l'accident de ski ? As tu remarqué combien les gens sont souvent fascinés par les plâtres ?
Oui, c'est tres touchant quelqu'un ayant un plâtre. Enfin c'est mon avis.
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